Les clichés existent partout, surtout dans le domaine de la littérature. Que ce soit dans la fantaisie, la romance, le thriller ou les autres genres littéraires, on trouve toujours des personnages, des dénouements, des intrigues, des mécanismes narratifs qui, à force d’itération, finissent par perdre de leur attractivité et leur valeur, et la fiction chrétienne ne fait pas exception. Elle foisonne de clichés que j’exposerai dans une série d’articles. Toutefois, le but n’est pas de proscrire leur usage, mais d’attirer l’attention sur leurs effets, et proposer aux auteurs des moyens de les rendre plus utiles.
L’expérience de conversion “obligatoire”
Ce cliché provient de la pensée selon laquelle une bonne fiction chrétienne ne saurait se conclure sans l’obtention du salut d’un ou plusieurs personnages.
La conversion est le pilier de la chrétienté. C’est le concept fondamental de la réponse à l’appel au salut.
C’est une expérience merveilleuse. Tout chrétien pouvant témoigner de ce passage en parlera toujours en employant des termes comme : inoubliable, extraordinaire, surréaliste, etc. Pourtant cette expérience représente, à mes yeux, un des plus gros clichés de la fiction chrétienne.
Au fil de mes lectures, j’ai constaté l’omniprésence de ce que je nomme “l’expérience de conversion obligatoire.”
Le mot “obligatoire” exprime simplement le caractère impératif et forcé de la chose, qui doit se faire coûte que coûte.
La conversion n’a rien de rebutant en soi, au contraire, on ne peut qu’être touché si elle est authentique et bien menée. En lisant la fiction chrétienne, vous constaterez pourtant que certains auteurs ont réussi à faire de ce processus unique et formidable une expérience religieuse et affligeante.
Dans certains récits de fiction chrétienne les conversions ne sont pas créées pour servir la logique de l’histoire, mais pour accentuer le caractère chrétien de l’œuvre. Ce qui rend le roman ennuyeux et le vide de sa crédibilité.
Au lieu d’être cette magnifique expérience, ce bouleversement glorieux, ce choc entre l’humain et le divin, la conversion se réduit à un moyen de christianiser son œuvre.
Est-ce que mon personnage désire réellement se convertir ? Sa conversion est-elle vivante ? Comment la rendre vivante ? Est-elle importante ? Impacte-t-elle concrètement le récit ? Rend-elle le récit plus crédible ? Est-elle cohérente avec l’évolution du personnage ? Voilà quelques questions qu’on peut se poser pour éviter de tomber dans l’expérience de conversion obligatoire. Et on peut aussi tout simplement s’en passer, la chrétienté du roman ne se remarque pas par la présence ou l’absence de ce cliché.
Il serait aussi profitable de lire des livres qui contiennent des témoignages de conversions afin de s’en inspirer pour écrire des conversions pertinentes, originales et vivantes.
Lien vers quelques témoignages de conversions : https://s.topchretien.com/media/filer_public/39/af/39af35a1-00fe-4256-a14a-a6a1faeec740/temoignages.pdf
Le personnage non-chrétien dépravé
Les auteurs de fiction chrétienne font une énorme distinction entre les comportements des personnages chrétiens et non-chrétiens. Et pire, les personnages non-chrétiens sont souvent dépeints comme des caricatures de dépravation morale et de péché, incapables de nouer des relations saines et fonctionnelles avec les autres, et encore moins d’être une source de bénédictions et de joie pour autrui.
Les lecteurs de fiction chrétienne connaissent tous ce personnage, grossier, ignoble, égoïste, débridée de sa sexualité, allergique au christianisme qu’il considère comme “ un concept inventé pour les faibles qui ne veulent pas affronter la vie.” Ce cliché est d’autant plus épuisant, car il n’est pas uniquement présent dans les récits des auteurs débutants, mais également dans les œuvres des grands noms de la fiction chrétienne à l’instar de Francine Rivers.
Dans son roman AN ECHO IN THE DARKNESS (un écho dans les ténèbres) tous les personnages non-chrétiens sont des personnes dysfonctionnelles, problématiques, perverses, esclavagistes, violentes, en somme, le prototype même de la déchéance humaine. Dans THE MASTERPIECE (le chef-d’œuvre), l’un des personnages principaux, non-chrétien, Roman, est le mauvais garçon dans toute sa splendeur. Il est égocentrique, rempli de colère, de haine, etc. Et que dire de REDEEMING LOVE (l’amour rédempteur) un chef-d’œuvre littéraire de la fiction chrétienne, mais qui, pourtant, nous dresse encore un portrait abominable de l’héroïne non-chrétienne, une grossière prostituée ? Quoi qu’ici, on peut pardonner à Mme Rivers, puisque Redeeming Love est inspiré d’une histoire vraie (histoire du livre d’Osée de la Bible) où le personnage féminin est une prostituée païenne, il n’en demeure pas moins qu’elle dresse des portraits peu reluisant des non-chrétiens dans ses récits.
Pourquoi ce cliché ? Parce qu’il permet de légitimer le premier cliché. Il donne assez d’arguments à l’auteur pour justifier la conversion du personnage non-chrétien. Ainsi, plus le non-chrétien sera horrible, dépravé et malsain, plus il sera impératif qu’on le sauve de lui-même et de cette vie de péché. (Pour l’auteur ce serait sûrement très difficile au niveau de la narration de crédibiliser la conversion d’un non-chrétien qui mène une vie saine).
Cet effort fourni pour diaboliser le non-chrétien dans la fiction chrétienne est tellement itératif comme phénomène que c’en est dérangeant, de plus, ça ne reflète pas la réalité. Il y a des non-chrétiens sympathiques, honnêtes, fidèles, loyaux et qui mènent une vie saine, mais ils ne sont quasiment jamais représentés, ce qui pourrait faire pourtant une différence notable dans le récit…
Quel est l’intérêt de réduire le non-chrétien à une simple caricature de vice ? Comment peut-on tendre la perche du salut au personnage non-chrétien sans en faire l’incarnation de tous les dangers sur terre ? Les non-chrétiens représentés dans leur diversité (bons et mauvais) n’auront-ils pas plus d’impact dans le récit ? Un personnage non-chrétien qui mène une vie saine et rangée serait-il moins crédible pour notre récit ? Un personnage non-chrétien inspirant certains chrétiens par certaines de ses qualités, ne servirait-il pas mieux notre intrigue ?
Le personnage chrétien parfait
La perfection, ou la quasi-perfection, des personnages chrétiens est un incontournable de la fiction chrétienne.
Les chrétiens des récits de fiction chrétienne sont en majorité des êtres aimants, de parfaits modèles de vertu et de sobriété, pour ne pas dire de petits anges.
Ils ne disent jamais de gros mots, ne couchent pas avant le mariage, ne volent pas, ne fument pas, ne boivent pas, on croirait qu’ils n’ont aucun défaut.
Leur personnalité est tellement lisse qu’ils en deviennent ennuyeux.
Quand ils ne donnent pas des leçons de morales, n’épaulent pas ou n’évangélisent pas les non-chrétiens, ils sont bouleversés par leurs actions et leur vie de débauche.
Les personnages chrétiens font toujours face à la douleur, à l’affliction ainsi qu’aux difficultés sans un dommage émotionnel susceptible de les empêcher de répondre en tant que chrétien parfait en toutes circonstances.
Ils trouvent toujours dans leur foi la force de faire face à toute situation. Ils n’abandonnent jamais et ne renoncent jamais.
Ce cliché découle de la pensée selon laquelle seul un chrétien de bonne moralité avec une vie spirituelle, émotionnelle et sociale parfaite serait crédible pour sauver le personnage non-chrétien de sa vie de péché.
L’auteur s’évertue donc à brosser un portrait parfait du chrétien, afin que toutes ses bonnes et parfaites actions ne soient que le reflet de sa personnalité.
Hors de question qu’il se compromette ou sombre dans la corruption, car son rôle est de toujours demeurer parfait pour enseigner l’amour, la justice et sauver le non-chrétien.
Très souvent, le seul reproche que l’on pourrait faire au personnage chrétien, c’est de ne pas être assez attaché à Dieu. C’est notamment le cas du personnage principal Scott Anderson dans Blessing of Love de Juliette DUNCAN. En plus d’être beau comme le soleil, Scott est intelligent, ambitieux, sportif et mène une vie très saine au sein de la communauté chrétienne à laquelle il appartient. Il est le célibataire le plus convoité à l’église et dans la ville. Le seul bémol, Scott semble ne pas assez aimer Dieu.
Le souci avec ce cliché, c’est qu’il endigue les personnages chrétiens, en fait des personnages qui n’évoluent quasiment pas dans l’histoire, et qui demeurent coincés dans un modèle de perfection conçu par l’auteur. Modèle qu’ils doivent machinalement suivre.
Or, personne n’est parfait du premier au trente et un encore moins H24. Les chrétiens ne sont pas parfaits. Ils sont imprévisibles, déroutants, agaçants, décourageants, égoïstes… Ils leur arrivent aussi d’abandonner, de tomber dans la dépression, de perdre goût à la vie, d’avoir peur, etc. cela ne les empêche pas d’être aussi une source de réconfort et de bénédiction pour autrui, ni d’accomplir des choses extraordinaires grâce à leur foi.
Un chrétien qui sombre et se relève est bien plus crédible qu’un chrétien à qui on n’a jamais rien à reprocher.
Il est important d’y penser quand on travaille sur la personnalité d’un personnage chrétien.
L’extraordinaire, le bonheur et l’amour ne découlent pas toujours de la perfection. On peut être imparfait, être tout de même exceptionnel et accomplir aussi des choses exceptionnelles.
Il n’y a rien de plus exaspérant qu’un récit prometteur, mais bourré de clichés cependant, un cliché rafraîchi et bien utilisé peut donner quelque chose de nouveau et d’extraordinaire.
Que pensez-vous des clichés en fiction chrétienne ? En connaissez-vous d’autres ?
J’espère que cet article vous a plu. N’hésitez pas à me partager votre avis sur le sujet en commentaires.
2 réflexions sur “LES CLICHÉS DE LA FICTION CHRÉTIENNE”
intéressant. à méditer… Merci
Merci de ta visite et ravie que cet article t’ait plu.